Elle arrive à huit heures, personne n'est encore là 
Elle ferme à double tour sa loge, et la voilà 
Qui d'un air attendri, sourit à son miroir 
Ça fait bientôt trente ans qu'elle fait ça tous les soirs 
Puis elle prend son visage à deux mains 
Le caresse comme si ça n'était plus le sien 
Puis elle prend les fards et les crayons 
Se dessine un sourire avec application 
Les faux cils, la longue robe noire 
Les souliers de satin, la perruque d'argent 
Maintenant, la chanteuse a vingt ans 
Puis elle rentre en écartant les bras 
Comme si elle rentrait pour la première fois 
Puis elle chante avec cette voix-là 
Comme disent les journaux qu'on ne remplace pas 
Elle sourit avec ce sourire-là 
Qui n'appartient qu'à elle et que nous aimons tant 
Maintenant, la chanteuse a vingt ans 
Puis elle sort, épuisée, son maquillage fond 
Elle répond d'un air triste à deux ou trois questions 
Elle s'habille en civil, elle rentre dans l'auto 
Puis s'endort sur l'épaule de son impresario 
Elle revoit l'Alcazar et Deauville 
A l'époque où les hommes étaient encore dociles 
Elle revoit même ce petit chanteur 
Sacrifiant son cachet pour lui offrir des fleurs 
Elle revoit ces amoureux transis 
Qui jetaient dans son lit des colliers de diamant 
Maintenant, la chanteuse a vingt ans 
Puis elle rentre en écartant les bras 
Comme si elle rentrait pour la première fois 
Puis elle chante avec cette voix-là 
Comme disent les journaux qu'on ne remplace pas 
Elle sourit avec ce sourire-là 
Qui n'appartient qu'à elle et que nous aimons tant 
Maintenant, la chanteuse a vingt ans 
Puis elle rentre en écartant les bras 
Comme si elle rentrait pour la dernière fois 
Elle se plaint avec cette voix-là 
Comme diront les journaux qu'on ne remplacera pas 
Puis elle pleure avec ce sourire-là 
Qui n'appartient qu'à elle et que nous aimions tant 
Maintenant, la chanteuse a vingt ans